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Les conséquences de la fermeture de Silk Road

Publié le par Skero

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"Super qualité pour de l'héroïne qui défonce". Voilà le type d'annonce que l'on pouvait trouver sur Silk Road ("route de la soie"), jusqu'au mercredi 2 octobre, date à laquelle la justice américaine a annoncé avoir fermé le site Internet. Selon les autorités américaines, le site était "un vaste marché noir en ligne où étaient régulièrement achetés et vendus des centaines de kilos de drogue et d'autres produits et services illicites".

Concrètement, Silk Road reposait sur un grand principe : l'anonymat. Le site, dissimulé dans le "deep web", c'est-à-dire cette partie du web non indexée par les moteurs de recherche classiques, n'était accessible qu'aux utilisateurs du réseau décentralisé TOR, qui garantit un anonymat complet. Lancé en 2011, Silk Road permettait donc à ses utilisateurs de vendre ou d'acheter n'importe quel produit, et notamment de la drogue. Les cartes de crédit et les comptes Paypal étaient évidemment interdits, pour garantir la sécurité des identités des utilisateurs. Pour régler les achats, les internautes utilisaient en effet la monnaie virtuelle "bitcoin", qui garantit la confidentialité : les transactions y sont anonymes, et le vendeur ne connaît pas l'acheteur. La seule information révélée était l'adresse de livraison.

Du cannabis à l'ecstasy, en passant par le LSD ou la cocaïne, "plusieurs milliers de dealers" postaient ainsi leur annonce, et laissaient les acheteurs sélectionner leur produit. On trouvait également sur le site des manuels pour hacker des distributeurs d'argent, des armes, ou encore des contacts de faux-monnayeurs. Le site avait toutefois posé certaines restrictions : la vente d'armes de destruction massive, de données de cartes bancaires volées, ou encore la proposition de service pour assassiner des gens étaient ainsi interdits par le règlement intérieur du site.

Selon le FBI, entre février 2011 et juillet 2013, le site a permis près de 1,2 million de transactions, pour un montant total de près de 9,5 millions de bitcoins, soit, selon les calculs des autorités américaines, près de 1,2 milliard de dollars. Silk Road prélevait une commission sur chaque paiement, évaluée sur la même période à 600 000 bitcoins, soit 80 millions de dollars. Une somme qui permettait de financer le fonctionnement du site et la petite équipe qui le gérait.

  • Comment le FBI a mené cette opération ?

Plusieurs volets de l'enquête ont mené à la fermeture du site, mercredi, et à l'arrestation de son fondateur, Ross William Ulbricht. En juillet, le FBI a réussi à identifier un serveur situé à l'étranger, qui hébergeait Silk Road. Grâce à une coopération avec les autorités locales, les enquêteurs américains ont pu obtenir une image claire du serveur, et accéder aux messages privés échangés sur le site.

Pour parvenir ensuite à identifier les créateurs de Silk Road, le FBI et les autres agences de sécurité américaines ont cherché les premières traces en ligne de promotion du site, notamment sur les forums. C'est par ce biais que les enquêteurs ont trouvé deux messages d'un certain "Altoid", qui leur a permis ensuite, par des recoupements, de trouver la trace d'un blog hébergé par Wordpress, lié à une adresse Gmail. Il s'agissait de celle de Ross William Ulbricht, le fondateur du site.

  • Qui est le fondateur du site ?

Ross William Ulbricht, 29 ans, était connu sur Silk Road sous le pseudonyme de "Dread Pirate Roberts", ou "DPR", en référence à un personnage du livre Princess Bride, le terrible pirate Roberts, connu pour son masque noir et sa propension à ne jamais faire de prisonniers. Selon les informations du FBI, Ulbricht était installé à San Francisco. Diplômé d'un master en science des matériaux à l'université de Pennsylvanie, le jeune homme contrôlait les serveurs et les infrastructures du site, était à l'origine du règlement interne au site, gérait un "service après-vente" réduit, et dirigeait une petite équipe d'administrateurs. 

 

Profil LinkedIn de Ross William Ulbricht.

 

Sur son profil Google +, Ross William Ulbricht se décrivait comme un "libertarien économique et philosophique", et postait des vidéos de l'institut Ludwig von Mises, une organisation universitaire libertarienne dédiée à l'enseignement et la recherche en philosophie et économie politique

Interviewé par Forbes en août 2013, il expliquait que son site était, selon lui, "une expérience libertarienne qui ne fait pas de victime".

  • Que lui reproche-t-on ?

Ross William Ulbricht a été inculpé mercredi pour trafic de drogue, blanchiment d'argent et piratage informatique. Mais le fondateur de Silk Road est également accusé de tentatives de meurtres.

Selon le Baltimore Sun, le FBI enquête en effet sur deux cas suspects dans lesquels Ross William Ulbricht a joué un rôle de premier plan. En avril 2012, le fondateur de Silk Road est en effet accusé d'avoir demandé à un contact d'abattre l'un de ses employés, qu'il soupçonnait de vouloir révéler son identité et celui de plusieurs personnes liées au site. Le "contact" évoqué par les enquêteurs était en réalité un agent du FBI infiltré, qui a fait croire à Ulbricht que le meurtre avait bien eu lieu, envoyant notamment des photos de l'employé en question torturé. Le 1er mars 2012, Ross William Ulbricht envoyait 80 000 dollars, provenant d'un compte bancaire australien, vers le compte bancaire contrôlé par le FBI. "Je n'avais jamais tué ou fait tuer quelqu'un avant, mais c'était ce qu'il fallait faire dans ce cas", explique-t-il dans un message à son "contact".

En mars, des messages privés analysés par le FBI montrent une deuxième affaire similaire. Ross William Ulbricht écrit ainsi qu'il veut "mettre un prix sur sa tête", en parlant d'un utilisateur du site, connu sous le pseudonyme "FriendlyChemist", qui avait menacé de divulguer des informations sur un autre utilisateur, "Redandwhite", qui lui devait de l'argent. "Des besoins comme ça, ça arrive de temps en temps pour une personne avec des responsabilités comme moi", justifie-t-il dans ses messages, négociant même le prix du "service". Selon le Baltimore Sun, on ignore encore ce qu'il est advenu de "FriendlyChemist", car aucune trace d'un tel meurtre n'apparaît dans les registres policiers.

  • Quelles sont les conséquences de cette fermeture ?

La fermeture de Silk Road a immédiatement provoqué une vague de réactions sur le site de discussion Reddit. De nombreux utilisateurs se plaignent d'avoir perdu leur argent, à l'image de "IllJackYouOffSoHard", qui a envoyé 400 dollars quelques secondes avant que le site soit fermé. "Je ne peux même pas imaginer combien d'argent les gens ont perdu aujourd'hui", se lamente aussi "Luckyskyhigher".

 

De la monnaie bitcoin, utilisée notamment par le site Silk Road pour ses transactions entre utilisateurs.

 

Plus grave, la fermeture du site pourrait avoir un impact conséquent sur le marché du bitcoin. Selon des experts cités par le New York Times, Silk Road concentrait près de la moitié des transactions réalisées en bitcoins. Depuis mercredi, le FBI a d'ailleurs saisi plus de 26 000 bitcoins, soit 3,6 millions de dollars, détenus par le site Internet. Le cours de la monnaie virtuelle a d'ailleurs fortement chuté après l'annonce du FBI, perdant jusqu'à 20 % de sa valeur :

 

Cours du bitcoin, mercredi 2 octobre.

 

Mais le constat n'est pas si alarmant, selon Bloomberg, qui affirme que "bitcoin n'a plus besoin aujourd'hui de Silk Road". "La monnaie présente toujours des risques importants, mais le fait qu'elle ait à l'avenir une base de clients faite de start-ups légales plutôt que de barons de la drogue ne peut être qu'une bonne chose pour son développement", conclut l'agence de presse économique. La fin de la moitié de l'activité de bitcoin pourrait, à terme, donner une meilleure réputation à cette monnaie virtuelle souvent accusée de couvrir des activités illégales.

 

Enfin, pour les anciens clients de Silk Road, le bilan n'est pas plus sombre. Comme le rappelle Business Insider, il existe toujours des alternatives.

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