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La diffusion de musique sur Internet, un univers d'astuces et de compromis

Publié le par Skero

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La musique en ligne gagne en qualité... techniquement. Dans la dernière mise à jour de son logiciel de synchronisation iTunes, Apple a doublé la qualité maximale autorisée pour la musique diffusée sur les iPod, iPhone et iPad via son service de stockage iTunes Match. Ce mouvement met en lumière les contraintes techniques avec lesquelles doivent composer les services de streaming musical, comme Deezer ou Spotify, pour faire la balance entre coûts et qualité face à l'augmentation du nombre de leurs utilisateurs.

 

 

Les services légaux comptent leurs abonnés en millions. Né en 2006, d'abord sans l'accord des ayants droit, le site Deezer revendique désormais 20 millions de membres en Europe, dont 1,5 million payants, pour "entre cinq et dix millions d'écoutes par jour", selon son cofondateur Daniel Marhely. Le concurrent suédois Spotify, créé la même année, compte lui dix millions de membres, dont 3 millions payants. La musique libre, non commerciale, attire également les utilisateurs. Le service d'écoute de musique libre Jamendo, créé en 2005 et disposant d'un catalogue de 350 000 morceaux, diffuserait "un million de titres par jour", selon Pierre Gérard, son cofondateur.

ENTRE VITESSE ET QUALITÉ

Avec de tels volumes, les besoins de ces services ne cessent de croître, notamment en termes d'innovation technique. Et dans ce contexte de concurrence, la qualité sonore reste l'un des principaux critères de choix, avec la disponibilité du catalogue. La musique actuellement diffusée sur Internet est en grande majorité compressée, ce qui réduit la taille des fichiers - en supprimant certaines fréquences -, mais diminue aussi leur qualité. L'un des défis des services de lecture de musique en ligne est de trouver cet équilibre entre "poids" et qualité - ... et coûts de bande passante -, pour servir rapidement, sans coupure, la musique la plus fidèle possible. Car la moindre lenteur ou le moindre problème de lecture peut inciter les utilisateurs à passer à la concurrence.

 

Le service anglais de recommandation et de radios personnalisées Last.fm diffuse les morceaux en MP3 128 kbps (128 kilobits par seconde, soit 16 kilo-octets), le compromis "standard" entre poids et qualité de rendu. Deezer et Spotify fournissent plusieurs qualités selon la situation. Les auditeurs gratuits, qui n'ont accès qu'au service sur ordinateur, sont limités à un débit de 128 kbps et 160 kbps. Pour les abonnés payants, la qualité monte jusqu'à 320 kbps, un seuil considéré suffisant pour que l'oreille humaine ne fasse pas la différence entre le morceau original et sa version compressée. Sur mobile, Spotify laisse le choix à ses membres entre deux qualités : l'une "bas débit" en 96 kbps et l'autre en 160 kbps... Très loin de celles offertes sur ordinateur, pour éviter les problèmes de lecture et ne pas surcharger les réseaux mobiles 3G.

 

Jamendo a, lui, fait le choix d'un streaming en 96 kbps, tandis que le téléchargement gratuit profite d'un débit à 320 kbps. "Nous stockons la musique dans trois qualités différentes : en fichiers Flac, non compressés, donc sans perte, ainsi qu'en fichiers compressés en 320 kbps et en 96 kbps. Les 350 000 titres pèsent au total 10 tera-octets", précise son cofondateur.

 

 

DES SERVICES HAUTE DISPONIBILITÉ

L'efficacité matérielle est essentielle pour ces plateformes. Leurs serveurs doivent diffuser en continu des millions de morceaux dans plusieurs pays, sans délai ni saccade. Disponible dans huit pays européens, Spotify fournit son contenu avec une latence de 265 millisecondes. Un détail qui influe directement sur la satisfaction de l'auditeur et implique un équipement lourd pour ces entreprises. Trois points sont importants dans la livraison de contenus : le nombre de serveurs, leur emplacement et la qualité de la connexion avec les zones desservies.

Jamendo s'appuie ainsi sur plusieurs serveurs de streaming, entre lesquels la charge est répartie, doublés de serveurs de secours, dont deux hébergés par la plateforme de radios thématiques Radionomy. De son côté, Last.fm exploite trente serveurs pour sa diffusion.

 

Pour améliorer ses performances, Last.fm insiste sur sa gestion du cache, une mémoire permettant de livrer rapidement plusieurs fois un même contenu. "Comme tout service de streaming, nous avons un cache temporaire pour aider la lecture. Chaque chanson est stockée sur plusieurs serveurs pour garantir la redondance et l'extensibilité. Les chansons les plus populaires sont stockées sur plus de serveurs que les autres. Nous utilisons également des disques SSD [solid-state drive, sans délai d'accès aux données] pour ces contenus populaires", argumente l'entreprise.

Selon Daniel Marhely, Deezer n'utilise "que" "cent cinquante serveurs basés à Paris, dont quarante dédiés au streaming. Notre point de présence parisien, relié en direct à Londres et à Francfort, permet de servir tous nos clients européens avec une qualité optimale". La société doit implanter ses serveurs stratégiquement, au plus près des pays qu'elle compte desservir. "Pour assurer notre déploiement international, nous sommes en train de terminer l'installation de notre second point de présence, cette fois-ci, à Singapour, pour servir nos premiers clients asiatiques. Sao Paulo, Sydney, Hongkong... suivront en 2012", avance le dirigeant.

 

 

 

L'OPTIMISATION, AU CŒUR DE LA MUSIQUE À LA DEMANDE

Les logiciels qui gèrent cette diffusion sont développés en interne, pour gérer au mieux la charge. Dans cette optique, le lecteur affiché à l'internaute, autrement dit le "client" recevant les données, est central. Pour la diffusion sur ordinateur, Deezer s'appuie sur son site Internet et un lecteur en Flash. "Notre solution nous permet de gérer la chaine de streaming de bout en bout. Grâce à cette technologie, nous sommes les seuls à pouvoir nous servir du cache navigateur [une mémoire stockée sur l'ordinateur de l'utilisateur] pour optimiser la consommation de bande passante, mais surtout améliorer l'expérience utilisateur", précise Daniel Marhely.

Spotify, lui, mise sur le fonctionnement de son logiciel, que les utilisateurs doivent installer. Pour se décharger de l'envoi des données, l'entreprise a développé un logiciel lui permettant un fonctionnement particulier (PDF). La musique provient ici de trois sources : pour moitié, du cache du logiciel, pour plus d'un tiers, des autres utilisateurs - en pair à pair - et pour moins de 10 %, des serveurs de Spotify. L'application vérifie d'abord si le morceau est disponible directement sur l'ordinateur ou le téléphone de l'utilisateur, puis dans les sauvegardes des autres utilisateurs, avant de recourir aux serveurs de Spotify. Le but étant toujours de fournir la musique sans attente.

Jamendo, qui diffuse une musique libre, difficilement répertoriée, doit faire face à des contraintes particulières. "Nous utilisons une solution de diffusion développée en interne dans le groupe. Nous n'avons pas accès à des outils comme Gracenote [bibliothèque de métadonnées comme les titres, noms d'artistes, d'albums... pour la musique commerciale] pour organiser notre catalogue. Nous utilisons donc nos propres algorithmes de classement et de récupération des métadonnées", argumente Pierre Gérard. "Nous lancerons fin mars une nouvelle version de notre site, avec un lecteur en HTML5, pour écouter sans se soucier des changements de page. L'objectif de cette version est de permettre d'éditorialiser plus facilement la plateforme, notamment au travers des radios, et de mettre en avant la part sociale", conclut-t-il.

 

 

DE NOUVELLES TECHNOLOGIES POUR DE NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES

L'un des grands défis futurs pour ces sociétés est l'amélioration de la qualité, amenée à se diriger vers de la haute fidélité. Après avoir racheté le site Lala.com, Apple développerait une nouvelle méthode de diffusion, dite "adaptative", modifiant la qualité d'écoute en fonction de la connexion, jusqu'à de la haute fidélité pour les meilleures, avec une consommation de bande passante moindre. La nouveauté serait prévue pour le service de stockage en ligne iCloud de la firme.

 

Les services concurrents préparent eux-mêmes leurs propres solutions. Le cofondateur de Deezer affirme ainsi travailler étroitement avec le spécialiste du son haute fidélité Dolby "depuis plus d'un an déjà, pour proposer la meilleure qualité de son sur PC et mobile. Et nous avons comme objectif en 2012 de proposer une offre haute qualité pour les amateurs de jazz et de musique classique." Une voie tracée par un autre service français, Qobuz, qui propose téléchargement et streaming de musique "en qualité CD" depuis fin 2011.

 

Un autre objectif est celui de la diffusion sur mobile. "Sur nos utilisateurs Premium+ (Web et mobile), on constate une répartition de 55 % du temps passé sur le site et 45 % sur le mobile", déclare Deezer, qui s'est lancé sur mobile fin 2009 et est inclus dans certaines offres Orange depuis fin 2010. L'importance de ces appareils nomades est amenée à grandir dans les prochains mois avec la poursuite de la montée des smartphones partout dans le monde. L'arrivée ces prochaines années de réseaux mobiles de quatrième génération (4G) devrait aider à supporter ces usages.

Reste, pour les services de streaming, à trouver le meilleur équilibre sur les domaines non techniques, qu'il s'agisse de la répartition des droits ou d'attirer les utilisateurs de services de téléchargement illégal. Selon une récente étude IFOP pour le site spécialisé Clubic, la fermeture du site de streaming et de téléchargement Megaupload aurait grandement profité aux services de streaming gratuits. Quand 49 % des internautes affectés par la fermeture de Megaupload déclarent continuer à télécharger illégalement par d'autres moyens, un autre tiers d'entre eux indiquent s'être tournés vers les services de streaming légal gratuit, et à peine 12 %, vers des offres payantes.

 

Les discussions se poursuivent aussi entre les services de streaming et l'industrie musicale, qui juge que les revenus générés sont trop faibles pour les artistes et les ayants droit. Pour Last.fm, le développement du streaming profite, in fine, aux "petits" artistes. "Les artistes les plus populaires amènent évidemment plus de trafic. Mais en général, il y a un phénomène fort de 'longue traîne' où un petit nombre d'artistes crée un grand intérêt, qui se dirige ensuite vers d'autres artistes avec moins d'activité."

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